L’histoire des langues des signes

A partir du moment où des personnes sourdes interagissent entre elles pendant une longue période, une communauté et une langue des signes émergent assez naturellement L’histoire des langues des signes est donc étroitement liée à l’histoire des communautés sourdes. 

Les langues signées sont apparues à partir du moment où des villes ont émergé, concentrant la population humaine en des lieux précis et pour une longue période comme ce fut le cas à l’Antiquité.

Au Moyen-Age, on pensait souvent que les personnes sourdes étaient aussi mentalement handicapées et elles n’avaient que des contacts limités avec leurs familles ou étaient cantonnées dans des institutions qui ne faisaient rien ou presque pour leur éducation. Dans cette situation, elles n’ont pas pu développer de moyens de communication adéquats. Les langues orales leur étaient très difficiles d’accès et elles étaient, pour la plupart, isolées les unes des autres. On rapporte quand même la présence de plusieurs personnes sourdes signantes à la cour du roi d’Angleterre au 17e siècle ainsi qu’à la cour d’un sultan turc au 16e siècle(1).

On observe aussi à travers l’histoire qu’au sein des familles, des formes de communication rudimentaires émergent lorsqu’il y a un enfant sourd afin que celui-ci puisse communiquer avec les autres membres de sa famille entendante. Ces formes de communication incluent souvent des gestes mais ils ne sont pas empruntés à une langue des signes nationale et se basent surtout sur des gestes communs ou inventés. Ces formes de communication ne peuvent pas être appelées « langues des signes » car elles ne sont comprises que de quelques personnes. De plus elles n’ont que très peu ou pas de structure grammaticale. Ainsi, dans la situation où des enfants sourds grandissent isolés de leurs pairs, il ne peut pas y avoir de langue des signes.

Par la suite, en occident, les langues des signes se sont progressivement développées au siècle des lumières, période à laquelle on date l’apparition des premières institutions scolarisant plus spécifiquement les enfants sourds. Ces institutions sont, depuis, des espaces favorisant l’émergence des langues signées, qu’elles soient inclues dans la pédagogie des enseignants ou non. Plus elles étaient, à l’époque déjà, et aujourd’hui parfois, prises en compte et pleinement intégrées à l’enseignement, plus elles se développent et s’enrichissent, et permettent alors aux enfants sourds scolarisés d’accéder plus facilement à la langue orale par le biais de l’écrit, et de l’oralisation pour certains d’entre eux. Dans ces contextes, on a vu et on voit des élèves sourds devenir, à leur tour, enseignants dans ces institutions.

En Europe, les langues des signes ont été tacitement interdites dans les institutions spécialisées à partir de 1880. Cette année, là, à un congrès qui s’est tenu à Milan en l’absence de personnes sourdes signantes, il a été décrété que seule la méthode d’enseignement dite « orale », excluant toute forme de communication signée, devait être prônée. Le prestige et le rayonnement de ce congrès a fait que par la suite, les institutions d’enseignement spécialisé pour enfants sourds en France et en Belgique, ont vu leurs subventions devenir tributaires de cette méthode qui, pourtant, n’avait jamais fait ses preuves. Aujourd’hui encore, l’enseignement spécialisé pour enfants sourds porte les stigmates de cette interdiction et les pédagogies et formules d’enseignement qui donnent leur pleine place à la langue des signes restent rares ou trop peu soutenues par les pouvoirs publics et le corps scientifique. La croyance selon laquelle l’introduction de la langue des signes dans le système éducatif des enfants sourds entraverait l’acquisition de la langue orale parlée et écrite est encore tenace.

A partir des années 60, il est fait mention de « la langue des signes », en référence à l’American Sign Language (ASL), le plus souvent, dans les ouvrages traitant de la linguistique et qui reconnaissent celle-ci comme étant une vraie langue naturelle. Ensuite, pendant une vingtaine d’années, la recherche au sujet des langues signées n’a pas beaucoup évolué et quand bien même c’était le cas, elle restait assez focalisée sur l’ASL. Ce n’est qu’à partir des années 1980, et lorsqu’elles ont progressivement récupéré de plus en plus de place dans la sphère publique, que le nombre de recherches sur les langues signées a augmenté, notamment les langues signées européennes, et que l’on a pu en savoir plus sur leur structure et leur diversité. La compilation de bases de données a permis de les comparer entre elles et de décrire leurs différences et leurs similitudes. Plus récemment, on a identifié et répertorié plus de 180 langues signées d’autres régions du monde.

Lorsqu’une langue des signes est découverte ou défendue, l’une des premières initiatives menées est de créer un dictionnaire. Certains dictionnaires sont très loin d’être complets et d’autres le sont presque. Le choix est souvent fait de d’abord répertorier un vocabulaire de base en faisant un tri parmi des centaines de signes et puis le vocabulaire s’étoffe peu à peu. D’abord édités sous forme de livres, et ensuite sous forme de DVD et maintenant parfois disponibles en ligne, les dictionnaires sont de plus en plus complets et accessibles à tous. Dans certains pays, les dictionnaires incluent des renseignements sur la grammaire de la langue.

Parallèlement et en complémentarité à l’émergence de ces dictionnaires, on a aussi assisté à la création de corpus linguistiques des langues signées. Un corpus de langue, qu’il soit oral ou signé, rassemble un maximum de productions de la langue sous toutes ses formes et constitue une base de données qui va être commune aux recherches linguistiques. En Belgique, le premier corpus universitaire de la langue des signes de Belgique francophone a été finalisé, et présenté le 15 décembre 2015 par l’Université de Namur. C’est le premier témoignage scientifique de grande envergure de la richesse sémantique, grammaticale, linguistique et culturelle de la LSFB. L’Université de Namur travaille aussi en collaboration étroite avec l’ASBL Ecole et Surdité qui soutient le projet des classes bilingues et immersives français-LSFB à l’Institut de Sainte-Marie à Namur en venant alimenter scientifiquement la pédagogie qui est déployée dans ce projet.

Il est essentiel pour les langues signées qu’elles fassent l’objet de recherches linguistiques sérieuses et scientifiquement validées. Sans ce soutien, l’intégration citoyenne, sociale et professionnelle des personnes sourdes ne peut qu’être compromise.

(1)   Baker A., van den Bogaerde B., Pfau R. Schermer T., The Linguistics of Sign Languages : An introduction, John Benjamins Publishing Company, Amsterdam/Philadelphia, 2016, Ch.1 p.6.


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