Nouvelle prise de position sur l’interprétation

Prise de position de la FFSB concernant le droit à une interprétation professionnelle

I. Introduction

Étant l’organe représentatif de l’ensemble de la communauté sourde et malentendante de la Belgique francophone, la Fédération Francophone des Sourds de Belgique (FFSB) veille au respect des droits humains des personnes sourdes par les pouvoirs publics, en ce compris le droit à une interprétation professionnelle français-Langue des Signes de Belgique Francophone (LSFB).
La Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), ratifiée par la Belgique le 2 juillet 2009, garantit aux personnes sourdes et malentendantes un droit à une interprétation professionnelle en français-LSFB. Plus précisément, les articles 4, §5, 9, §2, lettre e et 21, lettres a à d de la CDPH stipulent l’obligation de l’Etat belge, toutes collectivités confondues, de mettre à la disposition des personnes sourdes signantes de Belgique francophone des interprètes professionnels en LSFB dans chaque aspect de la vie de la société. Cette obligation dans le chef des pouvoirs publics – et subsidiairement à l’endroit des acteurs privés, en particulier des media (CDPH, art. 9, §2, lettre e et 21, lettre c) – appellent à des politiques publiques qui respectent, protègent et réalisent la liberté d’opinion, d’expression et de recevoir des informations à l’endroit des personnes sourdes et malentendantes. Ainsi, l’Etat belge est tenu de garantir, en faveur des personnes signantes, l’accès communicationnel aux informations publiques ou d’intérêt général ainsi qu’aux services publics en LSFB via des interprètes professionnels en français.

II. Définition d’une interprétation professionnelle

Sur les territoires de la région de langue française et de la région bilingue de Bruxelles-Capitale, la FFSB réaffirme le droit linguistique des personnes sourdes et malentendantes d’utiliser la LSFB comme langue première afin de participer complètement et sur un même pied d’égalité avec les personnes entendantes dans tous les aspects de la vie en société (à savoir les sphères sociales, culturelles, économiques, civiles et politiques). Cette participation complète sera atteinte, en grande partie, par une politique publique systématique d’interprétation professionnelle français – LSFB. Ladite politique s’inscrit en droite ligne du droit à une interprétation professionnelle visée à l’article 9, §2, lettre e et 21, lettres a à d de la CDPH ainsi que des obligations ad hoc. En vertu de ces dispositions, toutes les personnes sourdes et malentendantes doivent bénéficier d’une interprétation professionnelle en toute circonstance, à charge des pouvoirs publics et, subsidiairement, des acteurs privés.
Par la notion d’ « interprètes professionnels en langue des signes » (CDPH, art. 9, §2, lettre e), il faut comprendre : des interprètes en langue des signes formés en nombre suffisant, à la suite d’un parcours d’enseignement supérieur hautement qualitatif à propos duquel les personnes sourdes ont un droit de regard ainsi que rémunérés en adéquation avec leur diplôme et leur statut social (indépendant ou salarié). La notion en question doit être comprise largement : au-delà des interprètes au sens strict, sont également visés les traductrices et traducteurs en français-LSFB. À ce titre, les interprètes, traductrices et traducteurs professionnels français-LSFB sont capables de transmettre un discours ou des idées de manière efficace, précise et impartiale, à la fois de manière réceptive et expressive, en utilisant tout le vocabulaire spécialisé requis par les circonstances, et en prenant en considération les spécificités culturelles propres aux personnes sourdes.

III. Problématiques liées à l’interprétation professionnelle

Actuellement, l’interprétation professionnelle LSFB – français rencontre trois problèmes majeurs qui sont respectivement : la pénurie de professionnels (a), le manque de reconnaissance de l’importance de disposer de professionnels et leur statut (b) ainsi que le manque de financement public permettant de pallier cette solution (c).

a) Pénurie d’interprètes professionnels français – LSFB

Actuellement, seule une vingtaine d’interprètes est en mesure de répondre aux besoins d’au moins 5000 personnes sourdes et malentendantes ayant la LSFB comme première langue en Fédération Wallonie-Bruxelles.

b) Statut des interprètes professionnels français – LSFB

La pénurie actuelle d’interprètes pousse de nombreuses personnes maitrisant un tant soit peu la LSFB à interpréter, sans qualifications, pour des personnes sourdes ou des personnes entendantes qui ne peuvent se comprendre autrement. Cette situation préjudicie tant les bénéficiaires de l’interprétation, que l’interprète non-qualifié – souvent dénommé « aide à la communication » – et elle peut entraîner des dérives importantes, tels des conflits d’intérêts, en particulier lorsque les enjeux de l’échange sont très importants ou relèvent de l‘intime.

c) Le manque de financement des prestations par les pouvoirs publics

La dernière problématique majeure lié à l’accessibilité par le biais d’interprètes professionnels est l’absence de financement total des prestations d’interprétation. L’absence de mise en place d’un financement total donne lieu, à la place, à un financement largement insuffisant ou fréquemment imprévu. À l’endroit des personnes sourdes et malentendantes utilisatrices de ces interprètes, cela amène la fâcheuse conséquence de se retrouver, soit, avec une absence de service (et donc à leur exclusion communicationnelle), soit, à devoir couvrir la prestation sur fonds propres (et donc à les entraver financièrement dans leur participation à la vie en société, l’argent ne pouvant être alloué à d’autres besoins ou activités).
Par ailleurs, les services d’interprétation en Fédération Wallonie-Bruxelles ne disposent pas suffisamment de fonds pour répondre à la demande de prestations par les personnes sourdes et malentendantes et qui ne peuvent pas être assurées par leur personnel salarié. Cela entraîne, au quotidien, une situation de discrimination passive à l’encontre des personnes sourdes et malentendantes qui ne peuvent même pas bénéficier d’une participation minimale dans leur société via la LSFB. En outre, cette situation entraine l’émergence d’un marché parallèle auprès des prestataires peu qualifiés et non-professionnels.
De plus, les besoins des associations de personnes sourdes et malentendantes, les associations travaillant avec les personnes sourdes et malentendantes et les associations pour les personnes sourdes et malentendantes ne perçoivent pas d’aides complémentaires de la part des subsides publics. De ce fait, elles sont pénalisées dans l’accomplissement de leurs activités car elles doivent financer, sur base de leurs fonds propres, ces prestations d’interprétation, tandis que les associations ne travaillant pas avec des personnes sourdes et malentendantes ne couvrent aucun frais d’interprétation, alors qu’elles bénéficient du même montant de subsides alloués. Il s’agit, par conséquent, d’une situation de discrimination indirecte étant donné qu’il y a là un traitement égal dans des situations différentes (CDPH, art. 3, lettre b et 5, §2 ; Constitution, art. 11).

IV. Recommandations

Compte tenu de la problématique plurielle de l’interprétation professionnelle en langue des signes en Belgique francophone ainsi que des droits et obligations stipulées par la CDPH, la FFSB, avec le soutien de l’ABILS, recommandent aux pouvoirs publics d’adopter les mesures suivantes :

1. La reconnaissance des professions d’interprète et de traducteur en langue des signes comme étant des métiers en pénurie, avec l’attention particulière qui y est associée ;

2. La promotion accrue des études reconnues en traduction et interprétation français-LSFB ;

3. La règlementation du statut professionnel qui doit être accordé aux interprètes et traducteurs LSFB/français, en ce compris les modalités d’obtention de ce statut et leur rémunération ;

4. La création et la diffusion de l’information ainsi qu’une large sensibilisation auprès des autorités publiques, des agents et du grand public sur le recours à des interprètes et traducteurs professionnels, ainsi que le respect inhérent à leur fonction et leur statut.

Ceci est une position sur l’interprétation, mais d’autres moyens de communication sont bien sûr possibles. Ex : avec des professionnels entendants signants.

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La Fédération Francophone des Sourds de Belgique souhaite remercier Madame Marie-Florence Devalet, Directrice, Monsieur Basil Gomes, Chargé de plaidoyer politique, et Monsieur Alexandre Bloxs, Président de la FFSB.

La FFSB remercie également Mesdames Mathilde Collin, Julie-Anne Berhin, Aline Streuve et Alice Heylens, membres du Conseil d’Administration de l’Association des Interprètes en Langue des Signes de Belgique Francophone ainsi que Madame Joëlle Sutera, Directrice du Service d’Interprétation des Sourds de Wallonie et Madame Pascale van der Belen, Directrice du Service d’Interprétation des Sourds de Bruxelles, pour leur précieuse collaboration.