Les langues des signes sont de vraies langues. Comment ne pas s’y tromper ?

L’erreur est encore trop courante : dire « langage des signes » au lieu de « langue des signes ». La confusion agace les personnes sourdes qui savent que leur langue des signes n’a rien à voir avec un vulgaire code ou une « sous-langue » uniquement destinée aux enfants ou aux adultes sourds les plus en difficulté. Loin de là !

La reconnaissance linguistique des Langue des Signes est généralement associée à la publication des travaux de William C. Stokoe, en 1960 aux Etats-Unis(1). Stokoe a démontré que les signes des langues signées n’étaient pas des gestes mais étaient décomposables et analysables comme les sons des langues vocales.  On sait qu’elles possèdent une grammaire et une syntaxe qui leur est propre et des représentations sémantiques spécifiques. Elles permettent tous les niveaux d’abstraction, y compris la description de leur propre fonctionnement (le niveau métalinguistique). Elles permettent aussi d’exercer toutes les fonctions linguistiques : cognitives, communicatives et poétiques(2).  Les langues des signes sont des langues dites visuo-spatiales. Cela veut dire que l’on doit voir les signes pour les comprendre et que l’on a besoin d’espace pour les exprimer. Les langues parlées sont audio-orales. On doit pouvoir les entendre pour les comprendre et produire du son en articulant pour les exprimer.

Elles n’ont pas de consonnes ni de voyelles, mais elles possèdent quand-même leurs propres unités linguistiques que l’on appelle « paramètres ». Il y a des paramètres manuels : la forme de la main, son emplacement, son mouvement. Puis il y a l’orientation des mouvements. Et ensuite des paramètres non manuels comme l’expression du visage, les mouvements des sourcils, des yeux, du nez, les mouvements des lèvres et les mouvements du corps (tête, épaules, torse…). Certains mouvements de la bouche ne sont pas liés à un mot articulé. Des paramètres non manuels peuvent indiquer par exemple que la phrase est négative ou que c’est une question, sans que les mains ne changent. Ces paramètres sont présents et structurent chaque signe de toutes les langues des signes. Tout cela possède une logique, est organisable et analysable, comme les unités linguistiques des langues parlées.

C’est très différent des simples gestes que l’on fait, comme lever le pouce pour dire « c’est bien » ou pointer quelque chose de l’index, ou encore des gestes culturels comme le geste en Italie pour dire « manger ». Ces gestes, à eux seuls, ne forment pas une langue. Cependant, certains de ces gestes sont repris dans les langues des signes, et ils ont alors des significations similaires ou complètement différentes.  Les langues des signes, ce n’est pas non plus la même chose que les mimes. Non seulement parce que ce sont des langues codifiées et organisées que l’on peut analyser en termes de paramètres linguistiques, mais aussi parce qu’en langues des signes, on ne fait de signes que dans la partie supérieure du haut du corps. On n’utilise pas tout son corps. On ne déplace pas non plus ses pieds et ses jambes pour signer. Il y a certains signes où l’on se touche la cuisse. C’est pour cela que les interprètes en langue des signes à la télévision peuvent tout exprimer sans bouger les pieds dans un cadrage de type plan américain.  Il y a aussi une différence entre les langues des signes et ce qu’on appelle en anglais les « manually coded languages », ou « langues codées manuellement ». Ici, en pays francophones on appelle cela « le français signé ». Il y a aussi d’autres types de codes qui n’ont rien à avoir avec les signes des langues des signes comme la LPC (langue parlée complétée) ou l’AKA (alphabet des kinèmes assistés) mais c’est le même principe : fournir une base visuelle à la langue parlée.

Donc, les langues codées manuellement comme le français signé sont des formes visuelles des langues parlées. Elles utilisent principalement des signes de la langue des signes nationale, le plus souvent, mais aussi d’autres signes qui ont été inventés par des personnes entendantes. Les personnes entendantes ont souvent tendance à utiliser des langues codées manuellement lorsqu’elles communiquent avec les personnes sourdes. C’est très souvent parce qu’elles ne connaissent pas suffisamment bien la langue des signes.

Les langues des signes :
–       Sont des langues qui ont émergé naturellement lorsque les personnes sourdes qui ne pouvaient parler ont commencé à communiquer entre elles. (voir article : L’histoire des langues des signes)
–       Ne sont pas dérivées d’une langue parlée mais possèdent leur propre grammaire et leur propre lexique.

Les langues codées manuellement :
–       Ne sont pas des langues naturelles, elles ont été créées de toutes pièces par les personnes entendantes qui ne maîtrisaient pas les langues des signes.
–       Sont dérivées des langues parlées et empruntent la grammaire des langues parlées en insérant des éléments lexicaux des langues des signes en combinaison avec des signes inventés.
–       Sont des supports visuels des langues parlées. Elles sont utilisées en communication avec des personnes entendantes qui ne signent pas bien ou qui enseignent que ce soit à tort ou à raison.  Les langues des signes possèdent chacune un alphabet manuel (A, B, C, D, etc.) qui sert pour exprimer certaines choses mais épeler tous les mots à l’aide de cet alphabet, ce n’est pas non plus pratiquer la langue des signes.

Ressources :

(1) Stokoe W.C. jr., Sign Language Structure: An Outline of the Visual Communication Systems of the American Deaf. Originellement publié dans : Studies in Linguistics, Occasional Papers 8 (1960), par the Department of Anthropology and Linguistics, University of Buffalo, Buffalo 14, New York.

(2)   Pour en savoir plus vous pouvez lire cet ouvrage très fourni sur les langues signées : Baker A., van den Bogaerde B., Pfau R. Schermer T., The Linguistics of Sign Languages : An introduction, John Benjamins Publishing Company, Amsterdam/Philadelphia, 2016.


Revenir aux articles